Rechercher les matières premières
—Je crois
qu'en tant que membre du comité industriel du conseil municipal d'économie, vous
vous êtes occupé d'une importante gestion, la recherche des matières premières
pour les collectivisations. Pourriez-vous nous l'expliquer?
—Le conseil municipal «s'attribue» des
fonctions qu'il n'avait pas avant la révolution. Sa gestion s'étend à toutes
les activités de la ville. Parmi elles, l'industrie et l'économie, notamment la
section appelée «comité d'industrie». Un compagnon de la CNT en devient
responsable. En raison de l'obligation pour tous de se syndiquer, à la CNT
comme à l'UGT, des comités de liaison sont intégrés au conseil municipal
d'économie. Les usines fonctionnant déjà, le comité d'industrie décide que le
plus important est de faire l'inventaire des réserves des matières premières
(laine d'origine, coton, soie, etc.) utiles pour la fabrication textile, ainsi
que des matières premières complémentaires. Une circulaire est envoyée à toutes
les entreprises, les informant que les réserves de matières premières pour la
fabrication seront utilisées en priorité pour les besoins de la guerre. En
complément de cette circulaire, des visites ont lieu dans les entreprises
susceptibles de posséder des stocks importants.
Des contrôles permettent de vérifier que les
résultats obtenus pour la production sont positifs. Il est alors nécessaire de
rendre possible l'approvisionnement pour favoriser une production régulière, la
meilleure possible vu les circonstances imposées par la guerre. Le problème
cesse d'être d'ordre local; s'y ajoutent de nouveaux facteurs de première
importance. Comme pour les laines régénérées, le risque d'une pénurie des
laines d'origine est possible. Ne pouvant prévoir ce à quoi il doit s'attendre,
le conseil municipal d'économie organise un voyage en Estrémadure —lieu de
production lainière où s'approvisionnent les anciens patrons— avec pour
objectif de constater l'état dans lequel se trouvent les sources
d'approvisionnement. Sur place, dans l'hypothèse où le fascisme n'occuperait
pas cette région, nous passons des accords d'échange pour que l'approvisionnement
de nos collectivités se poursuive.
En rentrant à Terrassa, nous faisons un
détour par l'Andalousie jusqu'au village de Lopera (Jaén), producteur d'huile
d'olive. Nous nous occupons de faire ravitailler notre ville et nous négocions
également l'acquisition d'huiles impropres à la consommation mais très utiles
pour l'industrie.
Administration
autonome
—En général, quelles sont les difficultés ou les manques
que rencontrent les collectivisations ?
—L'industrie textile que nous avons
collectivisée au début du mois d'août 1936, lorsque nous avons réintégré nos
postes de travail, est formée d'entreprises qui sont restées indépendantes et
chacune a conservé son unité propre, établie par la raison sociale de l'ancien
régime patronal. On peut dire que seule la direction des entreprises a changé.
Avant la révolution, les patrons en ont la responsabilité et prennent les décisions;
après, ces rôles reviennent aux conseils d'entreprise avec l'aide des
travailleurs. Pour ce qui est de l'organisation interne de l'administration,
chaque entreprise prend ses propres décisions. Il faut bien admettre que, de
manière générale, l'administration des collectivités est réussie, même s'il est
vrai qu'elles tendent à se fermer sur elles-mêmes. En raison de cette vision
assez bornée, qui circonscrit les conquêtes sociales de la révolution dans les
limites réduites de chaque entité productive, il existe dans la même branche
des collectivités plus riches que d'autres. L'héritage que chacune d'entre
elles reçoit de l'ancien régime patronal les classe par catégories. Est-ce que
la dualité syndicale dans son concept social divergent est à l'origine de cette
situation? Cela est possible. De plus, le décret sur les collectivités de la
Généralité de Catalogne n'a rien réglé. Il a seulement légalisé les
collectivités telles qu'elles étaient à ce moment-là, et les a emprisonnées dans
les filets de la loi.
Cette situation ne peut satisfaire les
militants de la CNT, lesquels considèrent les collectivités comme le premier
pas vers une véritable socialisation qui doit apporter l'égalité économique
pour tous.
Les réunions des militants et les assemblées
générales de la fédération locale des syndicats de l'industrie prennent de
l'ampleur, ce qui contribue à améliorer le fonctionnement des collectivités.
Toutefois, nous devons considérer le fait que nous n'étions pas seuls. L'UGT,
très peu développée au début du mouvement, a relativement grossi lorsque
l'obligation de se syndiquer a été décidée. À ce moment-là, tous les «
conservateurs » se sont affiliés à ce syndicat.
Tant que les syndicats de l'UGT de Terrassa
sont sous la direction d'éléments du POUM, une entente, plus ou moins harmonieuse,
avec la CNT est possible. Mais à la veille des faits du mois de mai 1937, les
dirigeants du PSUC, parmi lesquels on compte d'anciens «trentistes»,
s'approprient des postes à responsabilités qui rendent les relations avec la
CNT de plus en plus difficiles. Cela n'empêche
pas la CNT de proposer à l'UGT un plan de socialisation de toute l'industrie manufacturière et
textile de Terrassa.
Un compagnon et moi-même, en tant que membres
de la Commission statistique et d'orientations économiques, rédigeons ce plan.
Celui-ci est présenté et discuté lors de nos différentes réunions. Son aspect
fondamental est l'abolition de la propriété privée de toutes les entreprises,
grandes et petites, riches ou pauvres. Toutes les entreprises doivent
disparaître au profit d'une nouvelle qui serait régie par une seule
administration générale en contact avec le conseil économique si toutefois ce
dernier continuait d'exister. Après quelques modifications, ce plan est
approuvé et soumis à l'UGT. Ses membres se limitent à dire que le plan est à
l'étude sans jamais se prononcer. Pendant ce temps, la situation de certaines
collectivités continue de s'aggraver. Pourtant, et malgré nos incitations à
nous faire d'autres propositions, l'UGT
laisse la question en suspens. Il semble évident qu'elle suit les
consignes du PSUC qui, opposé à toute socialisation, n'aurait sans doute pas
hésité à dissoudre les collectivités s'il en avait eu la possibilité. Sur ce
sujet, la CNT va payer une erreur dont elle est la première responsable.
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